Gmork et le Néant 

L’histoire sans fin, film où le héros (« Atreyu ») se bat seul contre un ennemi invisible nommé le Néant, revient sans cesse dans mes pensées depuis début 2022, à chaque information, chaque déception liée à la situation sanitaire Covid. Pourquoi ?

Peut-être parce que c’est le néant de la prévention contre le Sars-Cov-2 aujourd’hui. Il n’y a plus rien pour protéger les personnes, dites « fragiles » ou non, contre ce virus. Comme dans l’Histoire sans fin, ce Néant a grignoté petit à petit toutes les sphères où pouvait s’exercer la Santé Publique dans le cadre de la pandémie. Il n’y a plus rien ni dans les écoles (où les élèves, très peu vaccinés, sont pour la plupart « à nu » face au virus), ni dans les lieux publics clos essentiels, ni dans les pharmacies, ni dans les cabinets médicaux, ni dans les hôpitaux, où les patient-es déjà fragilisé-es sont directement mis-es en danger. Pire, ce néant est légitimé chaque jour par l’absence totale d’exemplarité de personnalités, qu’elles soient médicales ou politiques -et censées donc s’inquiéter un minimum de Santé Publique.

C’est arrivé étape après étape, par glissement, grâce à Gmork (le loup) alias la responsabilité individuelle, meilleur serviteur du Néant.

Le Néant c’est aussi l’absence totale de pédagogie, de prévention, de communication d’informations scientifiques ou de prise en charge des outils efficaces contre les virus aéroportés, qui laisse la population à la merci des complotistes ou autres fake med. Ceux-ci voient un boulevard se dessiner pour eux. Ils entrent encore plus facilement dans les lieux de soins et hôpitaux, dans les formations de santé. Leurs cartes de visite caricaturales sont visibles dans les cabinets médicaux, dans les salles de consultation des hôpitaux. Ainsi l’information sur le “somatopathe” (coucou Aurélien Rousseau) sera dans la salle d’attente où consultera un malade du covid long, qui aura peut-être entendu son médecin et son ministre se poser la question de la réalité de sa maladie.  

charlatan

Le désarroi des malades chroniques en général, et de certaines personnes voyant la santé de leur famille et amis se dégrader et l’horizon devenir inquiétant, est une aubaine pour les charlatans.

Or on ne « voit » pas le Néant. Sauf lorsqu’on observe les personnes qui se battent contre lui. Ce seront par exemple des militant-es, en général également malades chroniques, qui, déjà impacté-es en termes financiers et de santé, se voient contraint-es face au vide laissé par les autorités sanitaires à tenter d’alerter, de réclamer, d’initier la population aux FFP2, aux purificateurs d’air et à la ventilation, en distribuant ou fournissant gratuitement ces outils ou en créant des supports d’information. 

Ceci lors d’événements où il faut faire sa place, mais parfois aussi devant les hôpitaux où le Sars-Cov-2 circule maintenant en toute liberté, s’attaquant à des personnes en situation de fragilité, handicapant et parfois tuant dans les lieux censés les protéger. Et ces militant-es ne sont pas toujours bien reçu-es.

 

Ainsi, les plus précaires ponctionnent sur leur budget fragile : non seulement de quoi se protéger par leurs propres moyens face au laisser-aller total sanitaire, mais également de quoi protéger d’autres personnes (parfois dotées d’un revenu supérieur), mal informées (ou désinformées) par les autorités – cf la fallacieuse dette immunitaire ou le lavage de main magique. 

Voilà ce que c’est, la responsabilité individuelle sur ces questions : les personnes qui connaissent la valeur de la santé, en général les plus précaires connaissant la maladie, y tiennent. Les autres et notamment celles et ceux bénéficiant d’un capital social et économique qui les rend inconscient-es du risque (“ça ne peut pas m’arriver”) se mettent des œillères jusqu’à ce que cela les rattrape. Gmork se régale, dans sa grotte. 

C’est proprement scandaleux et on peine à comprendre comment le Néant a pu aller si loin. Et pourtant feu le ministre de la Santé et de la Prévention l’a bien compris : pour le faire progresser, il n’y a pas plus efficace que l’inaction. Et au final, certain-es s’étonnent, lorsqu’on leur dit qu’il n’y a plus rien dans les hôpitaux, parfois même lorsqu’ils passent en plan blanc : “ha bon”? (étonnement effrayé d’individu ne fréquentant pas souvent les hôpitaux et qui est vaguement choqué, quand même). C’est le principe du néant, il s’étend sans se faire voir, il prospère avec l’invisibilisation.

 

Cette technique est adoptée avec succès par les technocrates sanitaires de tous les pays : 

-ainsi, en pleine vague destructrice de SARS-Cov-2 aux USA, Mandy Cohen, directrice du CDC, s’évanouit telle une petite amie lassée, qui disparaît sans laisser de traces ou d’explications (ou telle l’impératrice  qui attend sans bouger tout au long du film que le Néant finisse son travail, et qui a besoin d’un nouveau nom pour agir. On y apprend aussi qu’elle avait en fait le pouvoir de tout reconstruire par un simple vœu!)

-En France, le ministère de la Santé et de la Prévention est supprimé à l’occasion du remaniement et laisse place à un simple secrétariat général. 

=> Rien de plus efficace que le néant de l’inaction pour échapper à ses responsabilités.

 

Ainsi les malades chroniques conscient-es du risque Covid sont, comme Atreyou, seuls face au néant destructeur. Souvent abandonné-es par leurs amis, leurs familles, leurs gouvernements et leurs médecins, certain-es dépensent toutes leurs forces dans leur protection d’un côté, et l’information/aide mutuelle de l’autre. Après avoir échappé, au départ, aux mortels marécages de la mélancolie (contrairement à Artax), iels auront à affronter la désinformation et l’invisibilisation. 

Or, si l’on peut éventuellement comprendre que les individus désinformés et habitués auparavant à un certain paternalisme protecteur des autorités sanitaires, se comportent comme des enfants, on ne peut pardonner à ces dernières de prétendre être atteintes du syndrome de Peter Pan. Ne pas agir alors qu’on est missionné et payé pour prendre des responsabilités en santé, c’est laisser le champ libre au chaos et l’injustice, et cela sera, un jour, visible.

Auteure :

Solenn (@Eerrnn