Texte révisé et publié dans Libération (voir fin du texte) 

 « Ne vous inquiétez pas madame, ce n’est qu’une virose hivernale »

 

Récemment, un article du Times estimait récemment que la recherche sur le Covid Long revenait à passer “des années et des centaines de millions de dollars supplémentaires à creuser un puits sec”. L’auteur assimile le Covid Long à l’encéphalomyélite myalgique (EM) et en déduit par un magnifique fatalisme que, puisqu’il n’y a pas eu de traitement identifié, il faut stopper la recherche. Avec à peine 3 ans de recul, et des dizaines de millions de personnes touchées. 

L’EM est une maladie chronique dévastatrice et complexe, négligée depuis des décennies, qui touche différents appareils de l’organisme et nécessite aussi bien recherche que prise en charge sérieuse. Une partie des Covid Long la développant, cette urgence devient encore plus impérieuse. Cependant, ne considérer les deux que comme une seule et même maladie pour faire rentrer le Covid Long dans une case, c’est oublier qu’un virus très spécifique est à l’origine du COVID-19, avec des conséquences à long terme et une pathogénicité encore floues.

Quelques jours auparavant et de façon inattendue, le COVARS reconnaissait enfin l’existence du Covid Long en tant que maladie, abandonnant la honteuse thèse psychosomatique privilégiée en France. Mais, tout au long de l’avis, il choisit de ne pas utiliser son nom spécifique (“covid long”), pourtant utilisé depuis le début par les malades au niveau international, pour le ranger dans les « syndromes post-viraux »

La SF2H (Société Française d’Hygiène Hospitalière), dans ses dernières recommandations produites à la fin d’un mois de septembre battant des records inédits de chaleur et alors que les hôpitaux débordaient déjà d’infections de type respiratoire pour la troisième vague de 2023, classait SARS-CoV-2 dans les “viroses hivernales”. 

Et au même moment, dans la presse internationale, on voit fleurir des articles sur le “long flu”, ou plus vague encore, le “long cold”.

 

Et ainsi l’étiologie meurt, sous les applaudissements des sociétés savantes. 

Cela va-t-il arranger certains médecins ? Car il semble qu’en France, en pré-pandémique déjà, les tests ne soient pas systématiques pour une infection. Et l’on est vite étonné à l’évocation par des amis à l’étranger d’un test pour leur enfant souffrant d’angine, qui a permis (ou non) la prescription d’un antibiotique. Peut-être qu’ici, on vous aura dit « c’est une virose, madame ». Et l’antibiotique sera administré au doigt mouillé. 

Pourtant maladie à déclaration obligatoire, une suspicion de Covid est dans les faits déjà de moins en moins testée en consultation, notamment pour les enfants. Si on ajoute l’amalgame du tableau clinique avec celui des autres virus, à quoi bon ? On valide ainsi une tendance dans les pratiques, et plus personne n’est responsable d’avoir laissé transmettre un SARS-CoV-2 (comme c’était déjà le cas d’un VRS), et des conséquences qui en découlent. 

L’à peu près est à la mode, ça ne demande aucune adaptation et les « avantages » d’associer SARS-CoV-2 avec les « autres virus hivernaux » sont nombreux quand on ne veut pas agir. Malgré l’évidence des 4 vagues annuelles, malgré une saisonnalité réduite au seul fait de fréquenter davantage de lieux mal aérés en hiver qu’en été. 

 

Un récit qui évacue commodément le SRAS-CoV-2, la source de tous les problèmes. L’objectif est le statu quo, la finalité est de ne rien faire. 

Pour la recherche et traitements : on va renvoyer les Covid Long vers la recherche insuffisante des autres syndromes post viraux. Cela permet d’occulter SARS-CoV-2 et sa circulation massive et permanente, écartant ex-abrupto une partie des malades, et les atteintes spécifiques de ce virus et corrélées à la maladie comme les fibroses pulmonaires, les effets cardiovasculaires parfois décalés, les décompensations de maladies préexistantes, et reléguant la persistance virale au second plan alors qu’elle crée les conditions potentielles d’une bombe sanitaire à long terme. Et que devient la recherche sur les antiviraux, qui peuvent pourtant aider à la fois pour la phase aiguë et pour la phase longue? On va orienter les patients vers des cliniques surchargées proposant… pas grand chose, rien d’autre que des traitements symptôme par symptôme (et encore), et de la rééducation qui, parfois, peut nuire au patient.

Pour la prévention : on renvoie le Covid au néant de la santé publique en matière d’infections respiratoires, qui nous avait déjà conduit à accepter comme une fatalité les épidémies “classiques”, année après année.

Aux premiers décès de ce nouveau Coronavirus, beaucoup ont cherché à rassurer en relativisant au regard de la mortalité déjà normalisée de la grippe. Le bilan de SARS-CoV-2 a rapidement fait oublier tous les autres, mais l’obsession est restée de revenir à un niveau acceptable, normalisable.

Quand à l’hiver 2022-2023 les épidémies classiques de grippe et de VRS ont frappé, s’ajoutant à l’épidémie permanente de SARS-CoV-2, les autorités ont un peu tremblé mais l’essentiel était fait : aux 10 000 morts “normaux” de la grippe, on avait ajouté 50 000 morts “normaux” du Covid, le tout enveloppé dans le parfait lexique d’une médecine très politique : les viroses hivernales. 

 

L’hôpital a « tenu » un seuil qu’on avait préalablement remonté.

 

La pandémie de COVID-19 aurait pu être l’occasion de revenir sur les pratiques de santé publique, et mettre en place une politique préventive efficace de masques et d’aération/purification, sur la base de seuils et d’une surveillance efficace de la circulation virale. On ne l’a pas fait. On peut encore le faire.

Car une chose est vraie dans l’association du SARS-CoV-2 avec les virus hivernaux : le mode de contamination est semblable. Ainsi, si l’on refuse le fardeau du Sars-Cov-2, on refuse par les mêmes gestes celui des autres virus à transmission similaire.

Ça porte un nom : progresser, faire mieux, plutôt que pire. Baisser le seuil acceptable des morts et handicaps du COVID-19, et ceux de la grippe, du VRS, du mycoplasma pneumoniae dans un cercle vertueux. Il n’y a pas de fatalité. 

Mais pour ça, il ne faut pas mettre SARS-CoV-2 sous le tapis de l’opportunisme lexical, il faut le nommer, l’étudier, l’utiliser pour apprendre à s’en défendre. Sans cela, on signera la fin de la prévention, la fin d’une recherche ciblée, et on achèvera la normalisation de la maladie et ses conséquences dévastatrices dans l’opinion publique.

Auteurs :

Solenn TANGUY (@Eerrnn) et Emmanuel Caillet (@why_not_nemo), membres de Winslow Santé Publique (@winslow_la)

Cette version a été retravaillée par Christian Lehmann (@LehmannDrC) et publiée dans Libération (@libe) le 30/12/23 : LinkToTheArticle