La charge mentale de l’épidémie

En tant que “fragile”, depuis le début du Covid, un terme revient régulièrement dans ma tête. Tout le monde a entendu parler de la charge mentale portée par les femmes : il se trouve que cette expression décrit bien également le poids qui pèse sur les épaules des heureuses personnes détentrices d’une maladie ou comorbidité les rendant particulièrement vulnérables à ce virus. 

Depuis Omicron, comme plus personne n’en parle, sauf nous, pour demander aux autres de respecter des mesures élémentaires de protection, on est devenu les CHIEURS. On aborde LE truc dont personne ne veut parler (le tabou est fort) et ensuite en plus, on se retrouve à quémander. La pénibilité d’aborder le sujet nous incombe. On sait que ça va faire grimacer, inévitablement. Qui n’a pas vu les fameux yeux au ciel en abordant les précautions sanitaires lors d’une visite? Ah bordel, ces yeux au ciel, ça peut rendre fou, je vous jure. On sait exactement à quel moment ils vont arriver. Alors parfois, on n’en parle pas, mais on se démène pour organiser tout comme il faut pour limiter les risques. Comme ici.

En fin d’été dernier, il faisait beau et une amie m’a demandé si elle pouvait passer, car elle “n’a même pas encore vu notre maison” (sous entendu : notre faute, puisqu’on ne voit plus grand monde à cause du cov). J’ai dit ok, sans réfléchir. Bien sûr que ça me manque de ne pas voir mes amis. Alors, comme elle passait sur la route pour aller voir quelqu’un d’autre, et que je savais que ça ne durerait pas trop longtemps, j’ai pas demandé qu’elle fasse un test avant de venir (taux d’incidence qui crèvent les plafonds à ce moment là BIEN SUR, mais cela, moi seule le savais), et j’ai mis une table dehors… Elle est venue avec l’un de ses enfants, on a commencé à discuter, pris le café. Et là, Bingo : elle a eu froid et a voulu rentrer à l’intérieur.

Je sais qu’elle voit du monde, va aux spectacles sans masque, et sa fille crachait littéralement ses poumons. J’ai fini par demander : mais t’es sûre que c’est pas le covid? (Oups, j’avais prononcé le mot tabou. Début des problèmes).

Elle :  –  “mais tu sais y’a pas que le covid comme virus, elle a toujours un rhume de toute façon » (on est en été).

Je ne savais pas si elles avaient fait un test (spoiler : NON). Je ne veux pas gâcher toutes nos précautions familiales, mises en place depuis des lustres, pour 10 minutes, et je sais qu’elle ne voudra pas se masquer à l’intérieur.

 

Là, défile donc dans ma tête, puisque visiblement ça ne le fait pas dans la sienne : 

    -mon état de santé critique d’il y a pourtant encore peu de temps ;  

    -la longue rééducation et la galère pour refaire des trucs basiques de la vie quotidienne, genre faire 50 mètres pour aller chercher mon fils à l’école ; 

    -le fait que le covid multiplie par xx le risque de cet évènement médical dans le mois qui suit l’infection (et par x dans l’année qui suit). 

Généralement, je ne le dis pas, car si je le disais, on me dirait que je suis “trop informée”. (dans ma tête : Ah oui, mais on parle de ma vie et ma santé là, mec. Donc oui je m’informe).

Bref. Après ce récap informel rapide dans mon cerveau, j’ai donc décidé de re-prononcer le mot « covid », et donc de la voir OF COURSE lever les yeux au ciel (je l’ai deviné à deux secondes près, je vous jure) quand j’ai expliqué que je préférais rester dehors à cause de cela. Précisons qu’il faisait 20 degrés environ. 

Je l’ai dit la boule au ventre vraiment, de honte, car en effet, on nous fait bien comprendre qu’on est des poules mouillées à pas vouloir re-dégrader notre état. 

Des trouillards qui ont, pour certains, vu la mort de près, gèrent leur état et leur traitement (parfois depuis des années, voire dès leur enfance !), et vivent généralement avec une épée de Damoclès sur la tête, le tout sans s’effondrer et en supportant le grand nawak de la non-gestion de pandémie par le RDM. 

“Fo pa avoar peur é toufèr comavan”. 

Voilà ce que pensent tous ces gens, qui ont pourtant, eux, “peur” d’être traumatisés par un bâton dans le nez pendant quelques secondes, ou d’un masque pendant 15 minutes en pharmacie. Mais ils sont trop forts, quand même (être viril face à un virus, j’ai des doutes mais passons). 

Le souci, réel, c’est que jamais les gens ne se rendent compte que l’absence totale de vigilance des uns entraîne forcément l’hypervigilance des autres, et donc que ce qu’ils nous reprochent, on le subit par défaut.

 

Et avec la famille, c’est pareil. Ils viennent passer le we, deux-trois jours avant c’est moi qui dois appeler, leur demander de bien vouloir faire un autotest, leur fournir la marque des tests pédiatriques qui font pas mal pour leurs enfants, voire le cas échéant les acheter pour en avoir à la maison s’ils ne l’ont pas fait. Ensuite je gère l’aération contre vents et marées (et surtout les gens qui râlent). Si jamais on doit prendre la voiture c’est qui-qui doit aborder le fait de mettre ou non un masque selon les situations ? On gère tout, avec le stress qui va avec, ainsi que la charge de l’évidente désapprobation. La charge mentale de l’épidémie, c’est les fragiles qui l’ont entièrement. Les autres n’y pensent tout simplement plus, d’ailleurs ils s’en vantent (tout en te suggérant parfois d’en faire autant, au mépris de ta vie). Double peine. Du coup, au bout d’un moment, on abandonne tout simplement. Pourquoi se forcer à passer de mauvais moments?

Comme pour la charge mentale des femmes, certaines personnes se pensant bien intentionnées diront “mais si tu avais peur de…, j’aurais pu faire un test”, une fois arrivées chez toi. Aka “mais tu n’avais qu’à me demander de faire le ménage, je l’aurais fait”…. Ha oui donc on est obligés de le prévoir, 3 jours avant, d’y penser, de stresser de la réaction, car on sait que l’autre ne fera JAMAIS la démarche. Et surtout, surtout, maintenant, en fin 2022 où le déni a encore augmenté, de gérer le refus ou d’insister. Et finalement, ne plus voir personne, et de voir que ça ne les dérange pas (au moins, ça limite la charge mentale). Ainsi, la vie continue, mais sans toute une partie de la population. 

Comme je l’ai lu sur twitter, d’une malade chronique à l’autre bout du monde, jamais les personnes à risque ne se sont sentis aussi mal aimées qu’en 2022-2023… 

                                      Autrice texte (sept 2022) : Pingouin-Pangolin   Dessins : Sanaga