Mon premier bisou… depuis le début du Covid
Bon, la campagne de vaccination avance lentement… Depuis le printemps, le vaccin est accessible aux personnes avec des comorbidités, me voilà donc vaccinée. Malheureusement, aujourd’hui, le 17 juin 2021, ça fait à peine quelques jours que le reste de la population est éligible. Sur les applis de rencontres, personne n’est vacciné et encore moins avec deux doses. Donc les chances de connaître quelqu’un vacciné sont peu nombreuses… Ça fait plus d’un an que j’attends, depuis mars 2020, je peux encore tenir quelques semaines.
Pour l’instant, je tente Couchsurfing, juste pour des amitiés.
Je rencontre Ben.
Je lui propose une balade sur les quais de Seine pour réduire les risques liés au coronavirus. Il vit en Suisse, c’est tout ce que je sais avant de le voir.
J’anticipe déjà qu’il ne va pas apprécier mon FFP2 en extérieur, donc je lui dis « je garde mon masque » pour éviter des réflexions de sa part, d’autant plus qu’aujourd’hui les gens soi-disant fêtent la fin de l’obligation du port du masque en extérieur.
Il m’explique : « je suis déjà vacciné, mais si tu veux, je peux garder mon masque ».
Et là, dans ma tête, ça s’emballe : quoi ? un mec vacciné en France ? peut-être que… Il y a encore de l’espoir alors… Mais mince, est-ce qu’il a déjà ses deux doses ?
Il ajoute, en haussant les épaules : « j’ai déjà les deux doses de Moderna, en Suisse ça va plus vite ».
Il a mon âge, il est chercheur, il est en vacances, il est sympa et il a ses deux doses. Même si je ne voulais qu’un ami, mon dieu, il est unique. Il est le seul complètement vacciné en France. Enfin, la première personne vaccinée que je croise, quoi. Tout au long de la promenade, l’envie de profiter de cette opportunité exceptionnelle est de plus en plus pressante. Bordel attends, à quand remonte sa deuxième dose ?
Je jongle mentalement entre la discussion sur sa recherche doctorale en physique et les calculs. Moi, j’ai ma deuxième dose et il me reste 11 jours pour être immunisée. Si je compte bien, selon ce qu’il dit, il lui reste environ 5 jours… Mais attends, il part quand ? Il est à Paris pour deux semaines… Et il est arrivé quand ? S’il est arrivé il y a moins de 3 jours, je pourrais avoir au moins un jour avec lui. Lui avec ses anticorps Moderna et moi avec mes anticorps Pfizer.
On continue à marcher sur les quais de Seine, il me parle de ses voyages, il me montre des photos, nos corps se frôlent et je sens sa main glisser contre mon bras. L’heure du couvre-feu s’approche et il me propose de rester avec lui dehors. Je décline gentiment sa proposition en me cachant derrière la légalité et en espérant que dans 11 jours il aura encore envie d’être avec moi. J’ai peur qu’il m’embrasse parce que mon refus gâcherait une quelconque possibilité par la suite. Peu avant 23h, on convient de se revoir la semaine prochaine.
Les jours passent et, sur les applis, toujours personne n’est vacciné, toujours personne dans mon entourage, toujours personne dans l’entourage de mes copines et mes anticorps ne sont toujours pas prêts pour Ben.
Encore combien de petit-dej jusqu’à que je puisse lui envoyer LE message ? 8ème jour : « est-ce que 8 jours après la deuxième dose c’est suffisant ? ». 9ème jour : « est-ce que 9 jours après la deuxième dose c’est suffisant ? ». 10ème jour : « est-ce que 10 jours après la deuxième dose c’est suffisant s’il a déjà ses 15 jours ? ». Les heures passent. « De combien mon taux d’anticorps augmente-t-il chaque heure ? ». « Est-ce que 10 jours après la deuxième dose c’est suffisant si on se voit le soir ? ».
Oui.
«Coucou, libre ce soir ? »
« Je vois peut-être un pote, il doit encore me confirmer… Tu as des idées sinon ? »
« Peu importe ce qu’on fait, j’ai envie de te voir »
« Ok, où ? »
« Métro Pasteur, à quelle heure ? »
« J’arrive dans 10 minutes »
J’enlève mon masque en extérieur pour la première fois. Je veux sentir son odeur. Ça m’angoisse… Il y a du monde autour de nous et s’ils sont trop proches, on respire leur CO2. On se balade, j’essaie d’éviter la foule discrètement, sans qu’il s’aperçoive que j’essaie d’éviter le Covid. On discute, on rigole, je retiens ma respiration quand des gens s’approchent. Je trouve un banc isolé, loin des dangers. Sauf si lui, il a le Covid.
Assis, on parle du grand collisionneur de hadrons, de la recette standard pour créer un univers et du boson de Higgs. Il a des chaussettes avec des petits trains. Il est mignon mais il n’a aucun signe clair d’intérêt envers moi. Pourquoi est-il venu aussi vite alors ? Il cherche seulement une amitié ? L’un à côté de l’autre, il me montre son pass sanitaire. Il me drague ? C’est trop sexy, j’ai envie de l’embrasser. Là il ajoute « avec le vaccin, j’y pense même plus, je me sens immortel ». Ca me refroidit direct, il n’a encore rien compris, le vaccin n’empêche pas la contamination. Il n’a aucune idée de comment se protéger et ses pratiques sont catastrophiques. En même temps, les comportements de tout le monde sont désastreux… Comment évaluer le niveau de risques que je cours avec lui ? Bon, au moins, lui, il est vacciné et ça, c’est quand même extraordinaire.
Il doit partir. Nous marchons vers le métro, mon cœur s’accélère et je continue à retenir ma respiration comme seule gestion des risques dans les rues de Paris. Devant le métro, il demande « est-ce qu’on peut se revoir un autre jour ? », en regardant sa montre.
Il est donc intéressé. J’espère qu’il n’est pas covidé.
Il part dans 3 jours, je n’ai plus beaucoup de temps. Je le regarde dans les yeux et lui demande : « je peux t’embrasser ? ». Il me répond « oui » en souriant, comme s’il n’attendait que ça depuis notre première balade, il y a plus d’une semaine. Je m’approche de lui, je prends sa tête entre mes mains et je l’embrasse.
Il répond avec encore plus d’intensité que moi. Il me prend tellement fort par la taille avec ses mains. Il me pétrit. Je sens son envie dans chacun de ses mouvements. Son désir déborde de son corps et sort par sa bouche. Il gémit. Il gémit fort à côté des passants.
Je suis surprise de ce que j’ai déclenché, je ne m’y attendais absolument pas. Il en avait envie, même plus que moi. Mais pourquoi sa bouche et sa langue sont-elles aussi tendues ? Il ne veut pas que je l’embrasse ? Peut-être qu’il ne voulait que me pétrir ? Ai-je respecté son consentement ? Ou est-il juste un bad kisser ? Merde, ou c’est moi ?! Quoi qu’il en soit, c’est très désagréable. Le pire bisou de ma vie. J’arrête et je lui souffle « à bientôt ».
Contrariée, je rentre chez moi… Alors, je le recontacte ou pas ? En termes sanitaires, j’ai déjà couru un gros risque, donc peut-être que c’est stratégique de le revoir au lieu de multiplier les rencontres. Une première expérience décevante ne veut pas forcément dire que le reste sera mauvais ? J’espère vraiment qu’il n’a pas le Covid.
Sans avoir les choses claires dans ma tête, en rentrant, je range mon studio. Ben sera la première personne à pénétrer chez moi depuis le début de la pandémie. Le lendemain, vers 13 heures, je lui envoie un message « Coucou, dispo ? ». Les minutes et les heures passent, et il est impossible de savoir s’il a lu mon message, ses checks bleus sont désactivés. A-t-il envie de me revoir ? Est-il occupé ? Est-il tombé malade ? Suis-je en période d’incubation asymptomatique ? Ou peut-être que c’était aussi dégueulasse pour lui ? Je ne le saurai jamais.
En tout cas pour moi, même si c’était le pire bisou de ma vie, il sera toujours mon premier bisou depuis le début du Covid.
#DatingWhileHighRiskCovid19
Ecrit en novembre 2022.
Autrice du texte: Covid Virgin Dessin : Sanaga