« Le R0 de Charlie »

 

Jeanne est à risque covid et a une fille, Charlie. La famille a donc son propre “protocole covid” : notamment, Charlie se masque à son école primaire, et Jeanne et son mari font l’enseignement à domicile quelques jours à chaque fois qu’elle est cas contact, puis attendent que ça se calme avant de la remettre. Ils doivent donc gérer régulièrement leur fille à la maison tout en travaillant, en la testant au cas où elle se positive. Mais pour l’instant, elle ne l’a jamais contracté.

Jusqu’à ce que les masques tombent à l’école… En Mars 2022.

Lors de l’annonce de la fin du masque à l’école, c’est le stress. On est encore en pleine vague Omicron, la deuxième de l’année, non loin du pic. Tous les jours, des amis, des membres de la famille, ou encore des connaissances annoncent être contaminés : ça se rapproche de l’œil du cyclone. Les parents de Charlie lui demandent si ça la dérange de continuer à mettre son masque, puisque tous les autres l’ont enlevé. Elle dit que non. Elle retourne à l’école et, dès le lendemain de l’annonce, malgré les élèves malades, les autres n’ont plus de masque, l’instit non plus. Elle est la seule… Et elle subit une stigmatisation : dès ce premier jour, les autres élèves ne cessent de lui demander pourquoi elle met le masque, de lui dire fièrement que “papa a dit que le covid c’était fini”, “nous on a jeté la boite de masques à la poubelle”, etc…

Quelques jours après, elle est à nouveau cas contact, un lundi matin. Et ils ont été à la piscine le vendredi… donc même Charlie n’y a pas porté de masque. Quand Jeanne l’apprend, vers 10h, elle la récupère à l’école et la teste immédiatement : En une seconde, le test se positive. Un frisson parcourt le dos de Jeanne. Dans sa tête défilent la petite toux de Charlie la veille au soir, la fatigue du matin etc… Heureusement la petite va bien, elle a juste un flush rouge aux joues et ressent de la fatigue. Jeanne et son compagnon réalisent qu’ils peuvent avoir été contaminés la veille par exemple, et décident de tenter tout de même la non-contamination. Branle-bas de combat : le but étant de ne pas contaminer la plus vulnérable, Jeanne.

Celle-ci va dormir dans le grenier, l’unique purificateur de la maison tourne à fond en permanence, les adultes se masquent tout le temps sauf lorsqu’ils sont seuls dans la pièce aérée au préalable, la petite se masque lorsqu’elle reste longtemps dans un endroit au calme comme devant la TV (elle a un pass quasi illimité dessins animés pendant la période), elle n’est heureusement que très peu malade (et vaccinée, sans doute la seule de moins de 12 ans de toute la ville), et n’a pas de souci pour respecter les précautions une fois qu’elles ont été expliquées.

“je ne veux pas donner la maladie aux gens” dit-elle – seulement âgée de 5 ans et demi.

Portant un bon masque coréen type poisson à l’école, on suppose qu’elle ne l’a pas donnée aux camarades, en une heure de temps. Reste à voir le sort de ses parents.

Tous les jours quasiment, la famille va sur une plage déserte (on est en fin d’hiver) bien venteuse, ou dans leur jardin : les endroits les plus aérés possibles. Charlie court, rigole, ça ressemble à des vacances, elle ne semble pas traumatisée une seule seconde.

A J+8 elle est retestée (AAZ pédiatrique) : le résultat est très faiblement positif. J+9: négatif! Ils laissent retomber une par une les mesures de précaution dans les jours qui suivent.

A la fin, après réception de leurs deux PCR négatifs, les parents s’assoient sur le canapé. Ils se regardent et l’un d’entre eux dit :

« Charlie a un R0 =0. » Ils rigolent. Puis s’arrêtent de rigoler :

Jeanne : “on est les seuls à faire ça en fait…

Son mari: “ les fragiles sont les siphons de l’épidémie!”… C’est tout un bras de la pandémie qu’on vient de bloquer, ou s’empêcher de se former. Dire que personne d’autre ne prend ce type de précautions…”

Un petit moment, ils imaginent comment cela se passerait si en effet la majorité des gens tentaient ce type de mesures.

PS : Il n’est pas toujours possible d’appliquer ces mesures, bien entendu, dans toutes les familles, pour des raisons techniques de type espace de vie, financières etc… La famille de Charlie est très précaire surtout depuis l’apparition des soucis de santé de Jeanne, mais malgré tout, la prime de rentrée suivante a été dépensée pour s’offrir non pas un écran plat, mais deux purificateurs d’air pour sa classe. Purif is the new écran plat.

Ecrit en septembre 2022.

Autrice du texte: Pingouin-Pangolin