« Dont Acte »
Il y a un peu plus d’un an, j’écrivais un petit texte sur le relativisme des comportements individuels en période de pandémie, intitulé « midi à sa porte ». Sorte de brève de comptoir, ou billet d’humeur selon l’expression journalistique, à destination de mon entourage numérique proche ou moins proche. J’essayais d’y présenter brièvement les différences de points de vue au sein de la population sur la crise sanitaire et le rôle des responsables politiques dans le merdier global, avant de recentrer l’éclairage sur notre expérience particulière de foyer « à risque ».
Cette fois, je m’abstiendrai de trouver des raisons aux personnes qui ont décidé de choisir le silence ou l’indifférence face aux souffrances des autres, elles n’ont qu’à écrire des textes elles aussi. Je n’aurai pas non plus la prétention d’être le porte-parole d’une catégorie d’individus étiquetés « vulnérables », puisqu’il y en a que la situation ne gêne plus, ils n’ont qu’à s’exprimer également. Ou continuer de ne rien dire, c’est plus commode.
Par contre, je pense pouvoir m’exprimer au nom de celles et ceux, fragiles ou non, que j’ai rencontré-es depuis un an, au sein – ou par le biais – de divers collectifs qui se bougent pour tenter de sensibiliser sur la question. J’en profite pour faire un petit pied-de-nez aux technophobes primaires, pour qui internet et les réseaux sociaux, c’est le mal. Sans ces espaces virtuels de parole et d’échanges de savoirs ou d’expériences entre vulnérables, personnes handicapées, médecins, chercheurs/chercheuses, journalistes concerné-es (il y en a !), les personnes dont je parle seraient dans un isolement encore plus grand.
Je ne sais pas si les gens mesurent le degré de dystopie dans lequel nous nous trouvons actuellement. Pourtant, c’est à la mode, la dystopie. On en bouffe plus que de raison dans toutes les fictions. Mais parmi toutes celles que l’on a sous les yeux dans le monde réel (réchauffement, inégalités, travail jusqu’à la mort, guerres et autres joyeusetés), je constate que celle qui concerne la destruction du droit fondamental à la santé est soit minimisée voire niée, soit envisagée sous un angle exclusivement hospitalo-centré. Pour résumer la situation et rappeler la réalité de la situation sanitaire, le Covid est encore là. Peu importe le variant, même s’il tue moins qu’avant, il tue toujours plus qu’une grippette, il laisse des séquelles plus qu’une grippette, il handicape plus qu’une grippette, il fait baisser l’espérance de vie de la population générale plus qu’une grippette, et on est encore loin d’avoir découvert tout ce que cette merde fait au corps humain, d’infection en réinfection, dont l’esquive est devenue une véritable course de haies de plus en plus difficile à tenir. Ce qui n’est qu’un mauvais souvenir pour la population générale, qui a accepté l’idée de se manger le truc à répétition en espérant plus ou moins passer entre les gouttes, est d’une brûlante actualité pour d’autres qui ne veulent, ni ne peuvent prendre ce risque. Ce décalage s’accentue au fil du temps et fait passer celles et ceux qui font encore attention pour d’étranges énergumènes suscitant parfois compassion ou pitié, au mieux indifférence ou mépris, au pire harcèlement et agressions.
Se battre pour limiter la casse du système de santé est nécessaire, mais ne suffira pas à soigner les millions de malades qui se retrouveront sur le bas-côté suite à leur énième contamination – qui passera peut-être inaperçue sur le moment, tant les cas asymptomatiques, ou peu symptomatiques, sont nombreux – mais pas pour autant à l’abri de complications ultérieures. Le curatif, c’est bien, le préventif c’est encore mieux. Dit plus clairement et de manière volontairement caricaturale, merci pour le Paxlovid, mais dans l’absolu, beaucoup de personnes vulnérables préféreraient ne pas avoir à l’utiliser. Arf, ça n’est pas à la mode de dire ça, sans doute pas assez dystopique. Va l’expliquer aux hôpitaux qui, eux aussi, retournent gaiement en 2019 en faisant tomber le masque et en développant une communication préventive axée sur le lavage des mains, niant le caractère aéroporté, non seulement du Covid, mais également de presque toutes les infections qui ont fait saturer les urgences pédiatriques cet hiver. 176 ans après que le médecin hongrois Ignace Semmelweiss ait avancé sa théorie sur l’importance du lavage des mains, c’est l’heure pour quelques soignant-es de chorégraphier sur Tiktok la danse du lavage de paluches, pour nous montrer qu’on est en sécurité. Suivant ce calcul, la farandole de l’aérosolisation est prévue en l’an 2199, fenêtres ouvertes, cheveux au vent. L’effet Semmelweiss a de beaux jours devant lui.
On peut le nier, déployer des trésors de combines pour ne pas le voir – la plus efficace étant de s’éloigner des personnes qui s’en soucient tout en faisant croire que ce sont elles qui s’éloignent, d’éviter d’en parler en leur présence ou de se raccrocher à des concepts foireux et dépourvus de fondements scientifiques pour expliquer la dégradation de la situation, comme la prétendue « dette immunitaire » – n’empêche que c’est là. Certain-es y voient de la surinformation, de l’hypocondrie, de l’exagération morbide. J’y vois le suivi d’une information claire et précise, l’envie d’être en bonne santé (moins mauvaise possible) et un certain sens des réalités. Certain-es disent « il faut vivre », j’entends « on peut vivre sans vous », ou « vivez aussi, acceptez ce risque comme moi, en tant que bien-portant ou vulnérable résilient ». Alors je vis, mais je nique la résilience.
S’il fallait prendre une image parlante pour décrire la situation que beaucoup de personnes fragiles éprouvent en ce moment, j’hésiterais entre celle du rouleau-compresseur et celle, plus abstraite, de dépossession de soi. Images à saisir dans leur lente évolution, car elles ne sont pas arrivées d’un coup, mais se sont dessinées au fur et à mesure de l’abandon des mesures sanitaires qui nous protégeaient un tant soit peu, ainsi que son acceptation générale et progressive depuis début 2022. J’exclus évidemment de ces mesures les errements gouvernementaux d’attestations à la con, les protocoles scolaires abscons ou autres solutions de consultants merdeux. Je pourrais développer ce que ces pratiques de réduction des risques recouvrent, mais je préfère renvoyer aux liens à la fin de ce papier, afin de ne pas trop l’allonger.
En tous les cas, l’image du rouleau-compresseur est maintenant nette, laisse peu de place au doute et engendre la silenciation des victimes. Les mort-es sont oublié-es, les personnes souffrant de séquelles handicapantes sont laissées de côté ou peu prises au sérieux (y compris par le corps médical), les personnes vulnérables sont pressurisées et de plus en plus exposées à la précarité. Les autres, qui vont bien, ne disent rien, pour la plupart. Iels pourraient se joindre à notre indignation, à notre colère, à minima la relayer de temps en temps, mais choisissent de ne pas le faire. C’est ainsi, dans le monde d’après. Dont acte.
Plutôt que de devoir développer en long et en large tout un argumentaire rébarbatif, je renvoie à ce qui suit. Cette page militante référence beaucoup d’informations utiles concernant la pandémie. Si l’aspect engagé à l’extrême gauche rebute certain-es, qui y verraient trop de biais, les liens vers lesquels cela renvoie n’ont rien d’un millefeuille argumentatif, mais orientent principalement vers des études validées par la communauté scientifique, vers des articles s’appuyant sur ces études, ou vers des collectifs de malades ou de militant-es mûs par la volonté de sensibiliser le grand public de manière sourcée et solidaire. Pour de la vulgarisation rapide, ce lien est pratique. Cet autre site, créé il y a un an, propose un regard un peu plus léger sur la situation. Il s’agissait d’un prémisse défouloir au Collectif Winslow Santé Publique, engagé dans l’action et la sensibilisation. Enfin, pour montrer qu’il existe des exemples d’initiatives ne participant pas au déni (quelques rares associations, festivals, colloques, syndicats, bistrots, lieux de culture…), il y a des liens à la fin de cet article sur le monde du spectacle, qui n’a pourtant pas brillé par son empathie pour les plus vulnérables d’entre nous.
A lire, je sais pas, aux chiottes au moins ?
Bonne journée !
Ecrit en mai 2023.
Auteur du texte: Marcel Vincent