Omicron is not mild
Les souvenirs ne sont plus très clairs… Juste quelques fragments.
En novembre 2021, Omicron arrive en France et il s’exclame : « on se confine ensemble ? On se confine ensemble à chaque prochaine vague ? ».
Ébahie, je lui réponds : « ça va durer des siècles, tu sais ? ».
D’un ton sûr, il affirme : « bah, on sera ensemble pour l’éternité », me serrant fort contre lui.
Et puis, la brutalité de son absence.
« Fais des activités qui te font du bien, Omicron is mild, le covid est fini, bla bla bla ». Écroulée par terre dans mon studio, en pleurs, seule, incapable ni de manger, ni de boire, ni de regarder une série, ni d’écouter de la musique, j’ai pas la force d’expliquer aux gens essayant de me rassurer et me donnant des conseils pour aller mieux que ce n’est pas vrai, qu’omicron is not mild, qu’il faut toujours, encore et encore, éviter de le choper, qu’une infection n’équivaut pas à une dose de vaccin, que les réinfections sont une réalité et que le covid n’est toujours pas un rhume.
La tristesse écrasante, la douleur dans la poitrine, la boule au ventre, la gorge serrée, la difficulté à respirer, à avaler, à dormir. Il me manque. Ce wokefisher gaslighter love bomber me manque… et il ne devrait pas, je le sais. Mais c’est physiologique, tel un sevrage de la drogue la plus puissante que j’ai jamais goûtée. Une détresse profonde, insurmontable, un vide total. Je lui ai tout donné et il a disparu, en prenant tout pour lui.
Submergée par l’anxiété et les tremblements, je me sens mourir ou je veux mourir, je ne sais plus… et j’ai peur.
Des images défilent dans ma tête… Nos soirées devant The Mask Nerd, nos fit-testing DIY, nos rigolades à Leroy Merlin avec le PPE, nos jeux nocturnes sous la couette avec le thermomètre de surface et la recherche quotidienne de promos sur l’Aranet4, les filtres HEPA et les capteurs de particules fines. Après des mois à être traitée as if I’m disposable et à me méfier de tout le monde, avec lui, je peux refaire confiance et, en pandémie d’un agent biologique pathogène de classe 3 aéroporté, ça signifie lui confier littéralement ma vie. J’enlève mon masque pour la première fois en toute sécurité face à quelqu’un, sans angoisse, sans réfléchir, sans retenir ma respiration. Au milieu de ce massacre eugéniste, au moins pour lui, ma vie n’est pas sacrifiable. Bref, le rêve élémentaire, mais excessif en pandémie, de ne pas me faire tuer par mon partenaire.
Connard de merde, je me sentais bien avec toi ! Comment t’as pu faire un truc comme ça ?
Impossible de me méfier.
Un 3M Aura et il m’avait déjà sous son emprise. Aucun effort pour m’isoler puisque déjà tout mon entourage validiste « de retour à la normale » m’avait laissée derrière longtemps auparavant. Dans la détresse, I was just craving human contact et j’étais prête à faire n’importe quoi pour garder quelqu’un avec un FFP2 à attaches péricrâniennes… sans barbe en plus pour un fit parfait.
Ses messages remplissent mon quotidien autrement insipide et inquiétant. Sa présence me réconforte et on crée notre petit univers magique en plein Paris, échappant au danger et au validisme, à l’anxiété et à la mort, à Delta et Omicron. On danse, on chante… Je suis sereine, heureuse, complètement heureuse. Je redécouvre la joie, le plaisir de l’insouciance et d’une relation humaine. À plus de 150 000 contaminations par jour, on est les deux uniques personnes en France sans covid et c’est un miracle.
Notre troisième dose en décembre 2021 au vaccinodrome porte de Versailles, avec nos Aura 9205+ commandés par lui une semaine avant. Il n’arrête pas d’en parler aux gens autour de nous, ses yeux rieurs derrière ses lunettes de geek : « promis, c’est le meilleur masque, cela fait pas de buée sur les lunettes, vous devriez l’essayer ». Après le vaccin, pendant les 15 minutes de surveillance des possibles effets secondaires, on liste les films et vidéos de stand-up pour nos vacances de Noël.
Et d’un coup, son dernier texto : « ce n’est pas ce dont j’ai besoin en ce moment ». Sans explication, sans rien, comme si j’étais un déchet qu’il jette à la poubelle. As if I was indeed disposable.
S’il est capable d’être aussi cruel, qu’espérer des autres personnes qui ne me connaissent même pas ? Quelqu’un d’autre acceptera-t-il de porter un FFP2 ? Ou suis-je condamnée à me mettre en danger ?
C’est vraiment pas ce qui était prévu. Did I do something wrong ? Sous ma couette, mes pensées ressassent nos moments ensemble, nos discussions et non, j’ai rien fait de mal, on s’est même pas disputé une seule fois. I didn’t deserve it. Si j’étais pas malade, en serais-je là ? Est-ce le prix à payer à être une malade chronique en pandémie ? Ou bien, est-il juste un prédateur faisant du love bombing à une handie vulnérabilisée par l’absence des politiques de santé publique ? C’est atroce. Il semblait inoffensif, mild, vraiment mild. Comment aurais-je pu me douter que c’était une simple façade ? Comment aurais-je pu deviner qu’il était juste un misogyne jouant à l’antivalidisme avec moi ?
Ce serait si simple s’il y avait un protocole efficace contre les violences validistes et de genre.
J’essaie d’oublier, mais il est là quoi, il est partout. Rien ne me fait rire, rien ne m’amuse. Merde, comment cela peut me faire aussi mal ? Comment quelqu’un peut me faire aussi mal ? Comment quelqu’un qui me dit « je t’aime, je t’aime, je t’aime et je serai toujours là » peut disparaître dix minutes après sans rien dire ? Ce tortionnaire. Je lui manque ? Il souffre comme moi ? Je tourne en rond dans mon appartement sombre où, maintenant qu’il est parti, je me sens encore plus seule qu’avant. Et dehors c’est pas mieux, un mass death and disabling event sans précédent. Omicron est ultra contagieux. Sous le mythe du mild et de l’immunité collective, les gens se réunissent pour s’infecter exprès, ça circule à fond et la vague continue d’augmenter affreusement. Avec plus de 550 000 contaminations par jour, ça anéanti tout le monde, préparant bien le terrain pour un échappement immunitaire qui rendra inefficace le vaccin.
Je veux disparaître…
Omicron is not mild. Tellement de morts, tellement de covid longs évitables.
How to cope without all the coping strategies I used to have before Covid ? Comment sortir de l’emprise ? À qui demander de l’aide, s’il y a personne ? Vers qui me tourner si cet isolement avait fait de lui mon interlocuteur universel, mon seul soutien ? Les psys ne captent rien des aérosols ni de mon existence. Abandonnée dans mon dilemme sans issue entre mourir de covid ou de dépression, je mords mes doigts pour ne pas le recontacter, je m’arrache les ongles en réécoutant sans cesse ses messages vocaux et en regardant nos photos. J’appelle le 3919 et je fonds en larmes. « Il est un danger », oui, c’est clair. « Il faut pas aller le chercher », oui, on est d’accord… Je connais la théorie, je sais reconnaître les signes, mais mon corps ne comprend pas, c’est une torture, une douleur physique. Je suis en manque putain, chaque cellule de mon corps est en manque de lui, en manque de son attention, de ses caresses, de ses messages… de son love bombing ? Fuck, I miss his love bombing. Et c’est humiliant ! Bref, survivre aux violences de genre, en essayant de survivre à B.1.1.529 est la chose la plus dure que j’ai jamais eu à faire.
Tout est lugubre autour de moi. Mes sentiments niés, ma santé négligée, déshumanisée, réduite à des activités de survie, je suis misérable et je respire juste, juste en espérant que la VMC ne me ramène pas les miasmes de la voisine. Je scrolle nos messages et ma voix enjouée, pleine d’espoir, me manque. Je suis en manque de la personne que j’étais avec lui, de l’amour que je ressentais pour lui, de rire, de danser, de parler, de ne pas être exclue de cette foutue société, d’avoir mon identité, d’exister. D’être ! Mais merde, c’est ça qui me manque merde, c’est même pas lui, c’est moi, c’est mon humanité.
Ecrit en mai 2024.
Autrice du texte: Covid Virgin